2022 - Auto-portrait de moi en personnage(s)

21 Mars 2022 - 18:37

Bien loin du baron perché (1), on voudrait, à partir du moment où j’assume des responsabilités, me faire endosser un habit de chevalier. Le seul chevalier qui me correspondrait est celui symbolisé dans Sacré Graal (2). Surtout sans cheval et encore moins avec un serviteur. Passons, je ne supporte ni les costumes  quels qu’ils soient, ni les décorations. Je prends des responsabilités mais sans la fonction qui y est attachée. Je n’ai pas besoin d’alimenter ma carte de visite. M’occuper d’un collectif, oui, simplement sans titre particulier. Sinon, au bout de quelque temps, je quitte le groupe et  je change d’arbre et ce ne sera pas la première fois que je renoncerai. Je suis un adepte de l’autogestion plus que de la direction. Une image me vient à l’esprit. Un champ couvert de pommiers à cidre en automne. Les pommes à cidre ne se ramassent ni ne se cueillent. Au sol toutes ces pommes forment un collectif. Seules les formes et les couleurs différencient les variétés. Cet exemple m’aide à me glisser facilement dans un fauteuil de cinéma pour y apprécier la projection du documentaire la sortie de l’usine Lumière(3).  La comparaison en est simple. C’est le nombre, la masse, ici la foule qui m’interroge. C’est surtout le fait que touts ces vivants filmés, qui franchissent les portes de l’usine, ont disparu. C’est ce sentiment de disparition qui m’envahit à chaque fois que je consulte des ouvrages de photographies faisant référence à des événements historiques passés ou non. C’est peut-être la phobie de la disparition qui se révèle, qui remonte à la surface. Les figurines en carton qui participent de mon travail photographique en sont peut être la représentation. Elles collaborent, coopèrent, assistent, me secondent dans ces moments de prises de vues et j’ai la sensation d’emporter avec moi des liens diffus. Chacun d’entre nous laisse et prélève, avec ou sans heurt des fragments invisibles de l’autre et des autres. Je le ressens aussi lorsque je parcours des villes inconnues (4) mais nouvelles. J’aime ces situations de dialogue actif avec les passants. Je ne comprends pas, parfois, la langue mais peu importe. Je pourrais dire que la situation est absurde. Pas du tout. Je n’ai pas de crainte devant l’inconnu, ni d’appréhension. Mon statut d’étranger ne m’handicape pas, au contraire. C’est le chemin plutôt que la destination que je privilégie. Un chemin à tracer à la manière d’un chantier en perpétuel mouvement mais jamais achevé. Comme élever des châteaux de sable (5) ou des châteaux de mer. Des barrages éphémères que la marée haute effacera systématiquement. Une bataille inutile comme l’océan mais toujours recommencée. Avoir un sentiment d’accomplissement, être passionné, conscient et révolté (6).

Patrice Monchy, le 28 novembre 2018

  1. Le baron perché / Italo Calvino
  2. Sacré Graal / les Monty Python
  3. La sortie de l’usine Lumière à Lyon – Louis Lumière
  4. Les villes inconnues / Italo Calvino
  5. Barrages de sable – traité de castellologie littorale / Jean-Yves Jouannais.
  6. Le mythe de Sisyphe / Albert Camus